Monday, May 24, 2010

MONSANTO A L'ASSAUT DE L'AFRIQUE...


OGM: main basse sur le coton africain

Par Guy Gweth

19 mars 2010

Après l’aide humanitaire d’urgence pour faire accepter le blé, le riz et le maïs transgéniques, l’objectif de croissance à deux chiffres est la nouvelle arme de persuasion employée par l’industrie agroalimentaire pour pousser les décideurs et cotonculteurs africains à adopter les OGM. A tout prix.

Créée en 2002, l’association cotonnière africaine (ACA) a tenu son 8ème congrès annuel du 11 au 13 mars 2010 à Yaoundé, Cameroun, sur le thème du « coton africain face à ses défis ». Parmi les principaux points à l’ordre du jour, l’introduction des organismes génétiquement modifiés (OGM) dans plusieurs pays africains. En raison de sa qualité, l’or blanc constitue l’un des rares secteurs où l’Afrique demeure compétitive.[1]

Objectif : augmenter la production africaine de 30%

Le ton a été donné avant l’ouverture du congrès par Iya Mouhamed, patron de la société camerounaise de coton : « Nous devons passer des exploitations familiales aux grandes surfaces et, avec l’introduction éventuelle des biotechnologies, la production des pays membres de l’ACA pourrait augmenter de 30%. »[2] Ainsi qu’on pouvait le lire dans l’édition du 11 mars 2010 du quotidien camerounais Mutations, l’introduction de semences GM est perçue localement comme «l’avenir de la culture du coton en Afrique […] tant les partenaires multilatéraux viennent de saluer les bons résultats enregistrés par le Burkina Faso notamment… »[3]

L’étude publiée en janvier 2008 par l’ONG Les Amis de la terre est pourtant sans appel : « les cultures GM n’apportent aucun bénéfice écologique, social ni économique. »[4] Le cas si couramment cité du Burkina Faso[5] ne suffit pas, loin s’en faut, à répondre aux préoccupations liées aux risques de contagion des cultures biologiques, à l’envolée des prix des semences (après les offres promotionnelles de départ), aux risques de résistance (à long terme) aux nuisances diverses, encore moins aux conditions météorologiques (le coton Bt étant moins efficace en période de sécheresse comme nous le verrons, plus loin, dans le cas de l’Inde).

Dans leur stratégie de conquête des marchés émergents [6], Monsanto et Cie communiquent à bon droit sur la réduction des coûts de production et la simplification du travail, la résistance aux insectes permettant des économies d’insecticides grâce à l’incorporation d’un gène de Bacillus thuringiensis (Bt), une bactérie insecticide. Mais même aux États-Unis où les rendements moyens de maïs par exemple ont crû de 28% entre 1991-1995 et 2004-2008, des chercheurs de l’Union of Concerned Scientists estiment que « seuls 3 à 4% de ce gain est imputable aux semences de maïs transgénique, l’essentiel de cette hausse étant attribuable à d’autres facteurs (progrès de la sélection variétale classique, conduite des cultures…). »[7]

Les armes de persuasion viennent à bout des convictions

Depuis le milieu des années 90, l’offensive de l’industrie agroalimentaire américaine en Afrique[8] donne des résultats « plutôt satisfaisants », malgré la présence de quelques poches de résistance du reste provisoires (à l’instar du Mali[9]. Sur le terrain, les ONG de « développement » ou des associations agissant sous le label humanitaire collectent toute sorte d’informations utiles à leurs bailleurs de fonds et, grâce aux bulletins de veille et d’analyse, les producteurs d’OGM déploient des missions de lobbying[10] pour vendre « des plans de sauvetage de la filière agricole » aux dirigeants des pays sinistrés ou menacés de le devenir.

Dans les 26 États membres (actifs) de l’association cotonnière africaine où plus de 50% de la population vit généralement avec moins de 2 dollars US/jour, le lobbying intensif et les armes de persuasion douce que sont les voyages d’études, les sessions de formation tous frais payés et « les cadeaux »[11] viennent facilement à bout des convictions de la plupart des décideurs et des leaders de la société civile. On peut dès lors comprendre avec quelle aisance et quelle assurance l’industrie agroalimentaire pro-OGM fait main basse sur le coton africain, malgré la résistance essentiellement psychologique des groupements de petits paysans.

D’après Christophe Noisette d’Info’GM, une association de veille sur les OGM, « les centres de recherche agronomique de plusieurs pays d’Afrique sont aujourd’hui dotés de programmes de production de plantes génétiquement modifiées (PGM). Le développement de ces programmes demande d’importants financements qui sont obtenus à travers des collaborations avec des firmes privées productrices de PGM comme Monsanto, Syngenta, Bayer, Dupont, et avec des universités et des centres de recherches des pays industriels »[12] ainsi que des fondations très réputées. Les importants dons de la fondation Bill & Melinda Gates en 2008 et 2009 en faveur du développement de l’agriculture[13] en Afrique participent de cette dynamique.

« S’il vous plaît, dites au monde ce qui se passe ici. »

Dans un article bouleversant publié dans Global Research[14] le 6 novembre 2008, Andrew Malone relate sa rencontre avec les proches de Shankara Mandaukar, un cultivateur indien qui a choisi de mettre fin à ses jours, parce qu’incapable de rembourser les 1500 euros de dettes contractés pour acheter des semences OGM. « Les semences de coton GM, garanties protégées contre les parasites se sont révélées ne pas être les semences magiques promises, mais ont été infestées par le vers de la capsule, un parasite vorace », rapporte Malone.

De plus, ni les autorités locales, ni les experts en marketing des firmes agroalimentaires n’avaient prévenu les paysans que ces variétés nécessitaient deux fois plus d’eau. Avec l’absence de pluie au cours des vingt derniers mois, les plantes GM ont évidemment séché et sont mortes.

Les fonds investis dans l’achat des OGM ayant été empruntés auprès d’usuriers locaux, des centaines de milliers de petits paysans se sont retrouvés sur la paille lorsqu’à leur grande surprise, les récoltes sont apparues catastrophiques. Il faut bien comprendre que grâce à la technologie « Terminator » intégrée dans les semences GM, les paysans doivent acheter de nouvelles semences chaque année, ce qui les change fondamentalement de leurs traditions séculaires où, même lorsque les récoltes étaient mauvaises, ils pouvaient malgré tout conserver les meilleures graines pour les utiliser la saison suivante.

Depuis, loin des grands médias et des commissions d’enquêtes internationales, un millier d’agriculteurs indiens sont contraints au suicide chaque mois par ce qu’on appelle là-bas « Génocide OGM ». D’après un villageois interrogé par Andrew Malone, ce sont ces semences magiques qui ont étranglé Shankara Mandaukar. « Ils nous vendent ces semences en nous disant qu’elles n’ont plus besoin de pesticides coûteux, dit le villageois, mais ce n’est pas vrai. Nous devons acheter les mêmes semences aux mêmes compagnies chaque année. Ça nous tue. S’il vous plait, dites au monde ce qui se passe ici. »

Pour des raisons évidentes, ni les lobbyistes des grandes firmes, ni les experts en biotechnologie invités au 8ème congrès de l’ACA, à Yaoundé, n’ont pas cru devoir transmettre ce terrible message aux paysans africains.

La perspective d’une guerre bactériologique n’est jamais loin.

Au plan militaire, la perspective d’une guerre bactériologique[15] n’est jamais très loin. Comme le fait remarquer Hervé Kempf, « les OGM agricoles présentent certains points communs avec les agents bactériologiques militaires : ainsi la bactérie Bacillus thuringiensis, qui est un des outils les plus utilisés par les firmes de biotechnologie végétale, est un cousin très proche de Bacillus anthracis, l’agent de la maladie du charbon, dont il constitue un très bon modèle. »[16] D’ailleurs, « des armes tournées vers la production agricole seraient beaucoup plus efficaces », confirme Dr David Sourdive, ancien de l’Institut Pasteur, du ministère français de la défense, et cofondateur en 2000 de Cellectis, une entreprise de biotechnologie spécialisée dans l’ingénierie du génome.

Les travaux sur les maladies agricoles constituaient déjà un des principaux pôles de recherche d’armes biologiques durant la guerre froide, aussi bien dans l’ex-URSS qu’aux États-Unis comme l’ont montré Miller, Engelberg et Broad dans une enquête consacrée à la guerre bactériologique. Les trois journalistes du New York Times concluent que « le danger des attaques biologiques est beaucoup trop réel pour être ignoré! »[17] Cette menace est d’autant plus exacerbée dans une Afrique dont la bombe démographique inquiète les pays riches et où les systèmes de veille sanitaire et agroalimentaire, lorsqu’ils existent, sont relativement poreux, plusieurs États membres de l’ACA ayant fait faillite, malgré la rhétorique officielle.

Pour l’astrophysicien britannique Stephen Hawking,[18] « si le 11 septembre a été quelque chose d’horrible, il n’a pas menacé la survie de l’espèce humaine, comme le font les armes nucléaires […] Les armes nucléaires nécessitent de grandes usines, alors qu’on peut faire des manipulations génétiques dans un petit laboratoire. Le danger est que, par accident ou volontairement, nous créions un virus qui nous détruira. »[19] Il n’est pas exclu que la pratique des tests non contrôlés[20] déjà observée chez certains de laboratoires étrangers en Afrique soient importée dans l’agroalimentaire, avec des conséquences encore inimaginables.

En l’état actuel des choses -et nous fondant sur les données issues du terrain- nous sommes en mesure d’affirmer que pour l’Afrique, la question n’est plus de savoir comment résister aux OGM (cette bataille est perdue), encore moins de diaboliser Monsanto et Cie (95% des participants au 8ème congrès de l’ACA au Cameroun sont conscients, depuis les subventions européennes et étatsuniennes à leurs agriculteurs, que la guerre économique a ses lois). La vraie question est de savoir avec quels renseignements et quelles armes juridiques les États africains vont pouvoir tirer profit de la phagocytose des OGM et l’encadrer afin d’éviter d’en être victimes.

Les enjeux stratégiques de l’ogémisation de l’agriculture africaine posent donc un des plus sérieux problèmes d’intelligence économique et juridique auxquels l’Afrique ait été confrontée depuis la « fin » de la colonisation.

http://gwethguy.wordpress.com/2010/03/19/ogm-main-basse-sur-le-coton-africain/

Notes :

[1] Tom Amadou Seck, Bataille pour la survie du coton africain, Le monde diplomatique, décembre 2005, P. 6 & 7.
[2] Cf. Jeanine Fankam, « Conclave à Yaoundé autour du coton africain », Cameroon Tribune, 12 mars 2010.
[3] Lire Léger Ntiga, « Regard : au nom de la relance », Mutations, 11 mars 2010.
[4] Les Amis de la Terre, résumé du rapport « Qui tire profit des cultures GM, l’usage accru des pesticides ? », janvier 2008, page 4.
[5] Premier producteur de coton en Afrique, le Burkina Faso a officiellement autorisé les premières expérimentations de coton GM (FK37 et FK290) en 2003, bien avant la mise en place d’un cadre législatif.
[6] Antoine de Ravignan, « OGM : comment ils conquièrent le monde », Alternatives internationales, n°043, Juin 2009.
[7] Lire: Failure to Yield. Evaluating the Performance of Genetically Engineered Crops, UCS, 2009.
[8] Falila Gbadamassi, « OGM : l’offensive américaine en Afrique. Les Etats-Unis courtisent les Africains à Ouagadougou », afrik.com, 23 juin 2004.
[9] Roger Gaillard, « Au Mali, les producteurs de coton disent ‘non’ », Le Monde diplomatique, avril 2006, P. 20 & 21.
[10] Lire : Guy Gweth, « Le lobbying coûte cher aux Etats africains », Les Afriques n°111 : du 11-17 mars 2010, P. 9.
[11] Yves Hardi, « Burkina Faso : le coton Monsanto emballe les paysans », Alternatives internationales n°43, Juin 2009.
[12] Lire Véronique Smée, « l’Afrique s’ouvre aux OGM », novethic.fr, Article mis en ligne le 27 juin 2006.
[13] Un don de 5,4 millions de dollars a été alloué au Donald Danforth Plant Science Center (Etats-Unis) en janvier 2009 par la fondation Bill & Melinda Gates pour « lutter contre la famine » par l’introduction de cultures génétiquement modifiées enrichies d’éléments nutritifs. Ce financement couvrait également les actions de lobbying destinées à convaincre les gouvernements africains d’accepter des essais en champ de plants de banane, riz, sorgho et manioc transgéniques enrichis de vitamines, de minéraux et de protéines.
[14] Andrew Malone, “The GM genocide: Thousands of Indian farmers are committing suicide after genetically modified crops”, Global Research, 6 novembre 2008.
[15] Lire Judith Miller, Stephen Engelberg and William J. Broad, “U.S. Germ Warfare Research Pushes Treaty Limits”, New York Time, 4 septembre 2001.
[16] Hervé Kempf, « Les OGM, ça sert aussi à faire la guerre », Le Grand Soir, 16 avril 2008.
[17] Germs: Biological Weapons and America’s Secret War, Simon & Schuster, 1ère édition, Octobre 2001, 384 p.
[18] Stephen Hawking est co-auteur, avec Isabelle Nadeo-Souriau, d’«Une brève histoire du temps. Du Big Bang aux trous noirs » chez European Schollbooks, Coll. J’ai lu, Juillet 2000, 228 p. Cet ouvrage qui expose les dernières découvertes astrophysiques sur la nature de notre planète a été vendu à 10 millions d’exemplaires.
[19] Roger Highfield, “Colonies in space may be only hope, says Hawking”, Daily Telegraph, 16 Octobre 2001.
[20] Voir « Ce que les laboratoires ne disent pas », Reportage diffusé sur France 2, le 17 janvier 2005, qui soulève de nombreuses interrogations autour des essais d’anti-rétroviraux dans la capitale économique du Cameroun.