Monday, February 02, 2009

MAX HAVELAAR: GARANTI COMMERCE "EQUITABLE" ?


Max Havelaar ou les ambiguïtés du commerce équitable

Leader mondial du commerce équitable, Max Havelaar prétend répondre à une demande de consommation « différente » placée sous le signe de la solidarité entre consommateurs du Nord et petits producteurs du Sud. Toutefois, l’entreprise semble effectuer un tournant « pragmatique » en se liant à de grands groupes très éloignés de ses préoccupations d’origine. Il n’est pas certain que les producteurs et les citoyens s’y retrouvent.

Par Christian Jacquiau

Comment apporter aux petits paysans pauvres un revenu qui leur permette de prendre en charge leurs besoins fondamentaux, de préserver leur environnement et de fonder des relations humaines sur d’autres valeurs que celles prônées par le « tout libéralisme » planétaire ? C’est lors de la première Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced), en 1964, que l’idée « Trade not aid ! » (« le commerce, pas l’aide ») donne naissance au commerce équitable. Jusque-là réservée à une clientèle d’initiés, la vieille idée d’une relation plus juste entre le Nord et le Sud se popularise alors auprès d’un public que l’on qualifie volontiers d’« alterconsommateur ».

« Créé en tant que commerce solidaire, rappelle la sociologue Virginie Diaz Pedregal, le commerce équitable a été fortement marqué à ses débuts par l’humanisme des mouvements religieux chrétiens, ainsi que par une conception protestante de l’éthique (1). » D’essence caritative, mais influencé ultérieurement par une approche politique plus tiers-mondiste, ce commerce solidaire se transforme en acte d’opposition au système capitaliste. Il devient alors « alternatif ». Jusqu’à ce que...

« Nous étions et sommes toujours anticapitalistes, opposés aux transnationales », rappelle le prêtre ouvrier Frans van der Hoff, cofondateur en 1988 de la marque Max Havelaar (2). Pourtant, happé par la vague néolibérale, la démarche « solidaire » puis « alternative » a muté, au tournant des années 2000, jusqu’à devenir un « commerce équitable » largement dépolitisé. « L’heure n’est plus à la révolution mais à la réforme, souligne Diaz Pedregal. L’objectif du mouvement est de bonifier le système libéral en le modifiant de l’intérieur. »

Présent dans de nombreux pays du Nord et principal promoteur de cette mutation, Max Havelaar se trouve au cœur d’un vaste débat renvoyant la démarche à ses fondements, historiques et politiques. D’un côté, les tenants de la marchandisation des produits équitables. De l’autre, les promoteurs d’un modèle exigeant davantage de contenu social et environnemental tout au long des filières, au Sud comme au Nord, avec en filigrane une interpellation sur la question essentielle de la répartition des richesses. En ce sens, l’affaire du coton africain estampillé Max Havelaar – au-delà des polémiques qu’elle suscite – est emblématique du trouble que traverse le monde de l’équitable.

Du retrait de la France coloniale – ayant permis la nationalisation des filières cotonnières africaines au bénéfice des Etats émancipés – aux privatisations imposées à ceux-ci par le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale, conduisant de fait à la réappropriation de leurs richesses par de puissants oligopoles privés, le coton est révélateur d’une certaine instrumentalisation du commerce équitable.

La rémunération des petits paysans africains producteurs de coton est désormais fixée par le marché, où opèrent de puissants groupes financiers ou agroalimentaires, comme la société française Dagris (Développement des agro-industries du sud), détentrice d’un quasi-monopole sur le secteur cotonnier de l’Afrique de l’Ouest. Entreprise jusque-là publique, Dagris est aujourd’hui en cours de privatisation (lire « Paris brade le coton subsaharien »). « Le maintien de Dagris dans la sphère de l’Etat [risquait] de l’exclure de certaines privatisations, les Etats africains s’opposant fréquemment à ce que des organismes majoritairement publics contrôlent les filières cotonnières privatisées », précise un rapport du Sénat français, très favorable à sa dénationalisation, en mars 2005 (3). Désormais, la volonté du groupe de servir de confortables dividendes à ses actionnaires s’opposera à l’espérance des paysans de recevoir une équitable rémunération. Pour couper court à toute contestation, Dagris s’est tourné vers le « commerce équitable » : sur les deux cent quarante mille paysans producteurs de coton pour la société, trois mille deux cent quatre-vingts ont été sélectionnés pour bénéficier du système Max Havelaar (4).
Elimination des petits paysans

Un tel compagnonnage est contesté par Mme Aminata Traoré, ex-ministre de la culture du Mali : « Le commerce équitable fait partie des solutions au drame africain, à la condition que Max Havelaar ne se mette pas avec Dagris. Dagris fait partie du problème. » Mais d’autres considérations emportent la décision de Max Havelaar. « En 2003, l’association affichait un déficit de 350 000 euros, plus 600 000 euros de dettes et un arriéré d’impôts dépassant 700 000 euros. Max Havelaar France se refait une santé financière avec la fibre textile », constate la presse française (5). De fait, l’association est aussitôt récompensée : 610 000 euros lui sont versés par le ministère des affaires étrangères français, 500 000 par le Centre pour le développement de l’entreprise (CDE). Au total, plus de 1,7 million d’euros, toutes subventions comprises, pour la seule année 2004 (6).

« Si le commerce équitable est vraiment une cause d’intérêt général, pourquoi n’est-il pas financé par l’Europe ou par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) ? Pourquoi par le ministère français des affaires étrangères ? », interroge M. Michel Besson, directeur de l’association Minga. En tout cas, à peine le partenariat entre le trust cotonnier et Max Havelaar est-il scellé que Dagris, par la voix de son président, se livre dans les colonnes du quotidien Le Monde à un véritable plaidoyer pour des cultures génétiquement modifiées en Afrique (7). Un mode de production très lucratif pour les transnationales de l’agrochimie, mais ayant pour conséquence immédiate l’élimination des petits paysans.

McDonald’s, dont on connaît la violence des pratiques sociales, propose désormais du café équitable « logotisé » (8) Max Havelaar. Tout comme Starbucks, le leader mondial de l’« espresso bar » avec ses sept mille cinq cents points de vente répartis dans trente-quatre pays, que l’écrivaine Naomi Klein qualifie de « précurseur dans l’art moderne de l’horaire [de travail] flexible ». Accor, dont la grève des femmes de chambre a, durant de longs mois, défrayé la chronique, sert à son tour du café Max Havelaar au bar de ses hôtels. Nestlé, l’entreprise la plus boycottée par les consommateurs britanniques, revendique elle aussi son partenariat avec Max Havelaar.
Une féroce répression antisyndicale

Il n’y a dès lors plus d’obstacles pour que les produits équitables franchissent le seuil de la grande distribution, dont la politique d’approvisionnement, caractérisée par la recherche de fournisseurs socialement moins-disants, amplifie les délocalisations massives, accélère l’insécurité sociale et la précarité (9). Offres publiques d’achat (OPA), fusions, absorptions, rachats... « Sur chaque grand segment de marché, trois ou quatre firmes internationales fournissent à elles seules 80 % de l’offre vendue en hypermarché », constatent les représentants de Coopernic, la deuxième plus grande centrale d’achats européenne (10). Douwe Egberts, Kraft Foods, Nestlé, Procter & Gamble et Sara Lee se partagent ainsi le marché du café. Un phénomène de concentration qui touche également le secteur de la distribution.

Pour les détracteurs de Max Havelaar, l’approche des géants de la distribution constituerait une véritable menace. Ils en veulent pour preuve les déclarations du représentant des hypermarchés Leclerc, au moment même où plusieurs syndicats dénonçaient la « féroce politique antisyndicale » inspirée par l’enseigne à ses magasins affiliés : « Le commerce équitable ne constitue qu’un marché émergent. Avec les volumes, les fournisseurs vont pouvoir écraser leurs coûts de production et nous pourrons ainsi augmenter nos marges. » Avec l’humain (salaires et protection sociale) pour variable d’ajustement ?

« Les différents types de distribution ne sont pas nécessairement incompatibles, car ils ne conviennent pas aux mêmes types de producteurs : à petit producteur, petit magasin, à gros producteur, gros magasin », avoue un commerçant de l’équitable dont le chiffre d’affaires a été multiplié par vingt et un en cinq ans (11). Sous l’impulsion des businessmans du « charity coffee », le commerce équitable a désormais muté en commerce de l’équitable, ce que regrette le père Van der Hoff : « Dès 1990, nous étions préoccupés par la tournure que prenait le mouvement dans d’autres pays (12). Sa dimension politique a été peu à peu édulcorée, puis évincée. »

Lidl bénéficie à son tour de l’image rassurante de Max Havelaar alors qu’une campagne sans précédent est menée dans toute l’Europe autour du très révélateur Schwarz-Buch Lidl (livre noir) qui dénonce « les conditions de travail, un climat de peur parmi les salariés et des mesures répressives insupportables » dans ses magasins (13). Mais, pour Max Havelaar Allemagne – qui a vu son chiffre d’affaires progresser de 50 % pour atteindre 110 millions d’euros depuis l’arrivée de ses produits sur les rayons du distributeur à bas prix –, les critiques émises à propos des dérives du commerce équitable ne seraient pas recevables.

McDonald’s, Starbucks, Accor, Nestlé, Dagris, Leclerc, Lidl... L’expérience aurait pu aller beaucoup plus loin encore si Max Havelaar Suisse n’avait décidé de se séparer de Mme Paola Ghillani, sa directrice générale, ex-présidente de Fairtrade Labelling Organizations (FLO) (14). Peu de temps avant qu’elle ne soit distinguée par le très libéral Forum de Davos du titre envié de « global leader for tomorrow » (« leader global pour demain »), elle avait entrepris d’introduire Max Havelaar dans les services, le tourisme, la banque, les bijoux, l’électronique et même... le pétrole et les diamants (15).

« Pour traiter directement avec les producteurs, Max Havelaar n’hésite pas à organiser la disparition des petits intermédiaires locaux, ces colporteurs qui font office de commerçants ambulants en profitant de leurs déplacements pour apporter marchandises et médicaments aux villageois les plus éloignés. Il les pousse à la faillite, pour des raisons affichées d’économie et de morale. En fait, il les a fait disparaître pour prendre leur place », s’indigne Mme Anne Brochier, animatrice d’une petite structure d’aide au développement. Aux 6 centimes d’euro que les « coyotes » (intermédiaires) prenaient sur le prix d’un paquet de café se sont substitués les 5 centimes d’euros exigés par Max Havelaar.

Autre sujet de débat, la question légitime de savoir qui paye pour l’équitable ? Le consommateur, assigné en réparation des dommages subis par les petits paysans. Culpabilisé par des slogans publicitaires jouant sur le registre misérabiliste, qui tentent de lui faire oublier que ce sont les mêmes torréfacteurs et distributeurs qui, après avoir exploité et plongé des millions de petits paysans dans une misère extrême en leur imposant des prix réduits depuis tant d’années, reviennent avec cynisme sur les lieux de leurs forfaits. A peine dissimulés sous leurs tout nouveaux masques équitables, encore étiquetés made in sweat shops.

Comme les paysans payent pour être certifiés en agriculture biologique, comme les fournisseurs de la grande distribution acquittent un droit d’entrée pour être référencés, les petits producteurs pauvres doivent s’acquitter d’un quasi-« droit au référencement » auprès de FLO - Max Havelaar pour espérer être un peu moins maltraités par ceux qui achèteront leur production. Les honoraires varient d’une coopérative à l’autre, en fonction du nombre de paysans et de salariés... bien que les plus pauvres, travailleurs saisonniers, journaliers, paysans sans terre et autres précaires, aient été exclus du champ de l’équitable par le système. Le prix d’achat aux producteurs de café a été fixé une fois pour toutes, en 1998, par FLO - Max Havelaar : 0,76 euro la livre pour le robusta et 0,88 euro pour l’arabica, quel que soit par ailleurs le prix auquel il est vendu au consommateur final.

On précisera que Max Haavelar n’achète pas de produits. Il n’en vend pas non plus. Son rôle se limite à garantir aux consommateurs l’application d’un cahier des charges élaboré par FLO. Les entreprises qui diffusent les produits garantis « équitables » par Max Havelaar s’engagent à le respecter et à payer ce prix minimum aux producteurs. Sans s’engager sur les volumes... Dès lors, les entreprises qui revendiquent leurs prétendues bonnes pratiques peuvent arbitrer entre l’équitable, payé à peine plus cher, mais permettant de communiquer « responsable », et les cours du marché mondial leur garantissant d’engranger de substantiels profits. Combien d’équité dans l’équitable ? Un peu plus de 4 euros mensuels de revenu supplémentaire par paysan, selon les chiffres de Max Havelaar, sur lesquels il leur faut déduire les frais de coopérative, de transports locaux et de douane.

Vingt ans après la création de Max Havelaar, le constat de Van der Hoff est amer : « Sur le plan économique, nous nous portons un peu mieux qu’en 1988. Mais notre situation reste très précaire. Nos producteurs de café [équitable] gagnent en moyenne 2,18 euros par jour – moins que le minimum légal de 3,28 euros au Mexique », lui-même déjà très bas.

« Quand Rica Lewis vante les vertus équitables de ses jeans, on oublie qu’il n’y a que le coton qui est labellisé. Malongo [café certifié par Max Havelaar] fait aussi du non-équitable, la démarche n’est pas complète. C’est du marketing », reconnaît M. Michel-Edouard Leclerc. Seul le coton en provenance du Cameroun (tissé en Italie) ayant servi à sa fabrication (en Tunisie) mérite l’appellation « équitable ». « FLO-Cert garantit la traçabilité et la conformité de ce jean, fabriqué selon les règles établies par la convention de l’OIT [Organisation internationale du travail] », tient à préciser Rica Lewis. Comme si l’équitable pouvait se résumer au seul respect de ces règles plus que minimales...

En l’état actuel, aucun label, aucune réglementation n’apportent de garanties officielles aux consommateurs d’équitable, qui doivent s’en remettre à la confiance qu’ils placent dans les acteurs du secteur. Le terme « label » ne peut en effet être utilisé qu’à la condition de répondre à une triple exigence : disposer d’un cahier des charges soumis à des contrôles indépendants, certifiés par un organisme lui-même indépendant et agréé par les pouvoirs publics. Aucune organisation du commerce équitable ne répond à ces exigences.

Les grands bénéficiaires de l’ingénierie actuelle sont avant tout les structures d’audit et les intermédiaires de la certification, avec les transnationales de l’agroalimentaire, de la torréfaction et de la distribution. Il n’en coûte en effet rien à ces dernières puisqu’elles se contentent de payer un peu plus cher une quantité infime de matières premières, réputées équitables, qu’elles s’empressent aussitôt de surfacturer à des consommateurs en quête d’équité. En l’absence d’une réglementation les définissant et en codifiant le contenu, la faiblesse des contrôles garantissant le commerce équitable prête également à toutes les controverses. En contrôlant cinquante-cinq acteurs parmi les plus représentatifs du secteur, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a observé dix-sept démarches différentes, dont certaines se caractérisent par l’absence de cahier des charges, voire de traçabilité.

Faute d’inspecteurs en nombre suffisant, le système pousse les petits paysans à se regrouper en coopératives, puis les coopératives en unions de coopératives (coopératives faîtières). Ne disposant que de deux inspecteurs indépendants pour tout le Mexique, un seul pour les autres pays, FLO-Cert en arrive à ne plus contrôler que les coopératives de coopératives, ce qui a pour effet d’éloigner un peu plus les inspecteurs de ceux qu’ils sont censés contrôler.

« La Fédération artisans du monde doit se distinguer des opérateurs commerciaux n’ayant pas d’objectifs d’éducation ou de transformation économique et pour lesquels le produit équitable prend le dessus sur la filière équitable », prône Mme Carole Reynaud-Paligot, sa présidente. Comme Minga et Nature et progrès, elle préconise une garantie basée sur le partenariat, l’autoévaluation et l’évaluation croisée.

Surmédiatisé, disposant de moyens financiers sans commune mesure avec ceux de ses concurrents, Max Havelaar se retrouve immanquablement sous les feux de la contestation. Pour autant, ses concurrents, plus petits, moins médiatiques et donc moins exposés, et n’ayant pas commis l’imprudence de se prétendre « label » – ce qu’ils ne peuvent pas davantage revendiquer —, ne sont pas pour autant à exempter de toute critique.

On voudrait croire le commerce équitable propre à juguler la domination exponentielle de ceux que Jean Ziegler nomme « les nouveaux maîtres du monde », mais glisser un paquet de café réputé équitable sur le sommet d’un chariot débordant de produits inéquitables, fabriqués le plus souvent par de quasi-esclaves dans les sous-sols du tiers-monde, peut-il suffire à satisfaire la demande d’éthique de citoyens de plus en plus avisés ?

Les déviances, abus et excès commis en son nom ne sauraient pour autant conduire à rejeter l’idée d’une véritable démarche équitable. Chaque jour, le consommateur vote pour un modèle de société productiviste, intensif, polluant et déshumanisé ou pour un type de production respectueux de l’humain, des animaux et de leur environnement. Partout des voix s’élèvent pour exiger un véritable commerce équitable, libéré de l’emprise des manipulateurs de la communication et du marketing. Les « alterconsommateurs » représenteraient déjà de 15 % à 25 % de la population (16).

« Au Japon, 25 % des foyers sont engagés dans le mouvement des coopératives de consommateurs dont font partie les fameux Teikei (17), inspirateurs des AMAP [Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne] françaises », explique la journaliste Noriko Hanyu. Ces modèles ne recourent pas à la publicité, n’arborent aucun logo, encore moins de label, pourtant ils tendent vers ce que pourrait être un véritable commerce équitable.

Deux logiques s’affrontent dans ce paysage tourmenté. Celle de la marque Max Havelaar et de ses partenaires commerciaux, se caractérisant par le traitement d’importants volumes de produits de niche et d’exportation (café, thé, cacao, etc.), au détriment parfois des cultures vivrières et de la souveraineté alimentaire des populations locales, et celle de réseaux du type Nature et progrès, Artisans du monde ou Minga, qu’accompagnent des milliers de sympathisants-militants, se positionnant résolument dans une approche de filières (18), de relocalisation des activités et de généralisation d’échanges véritablement équitables, au Nord comme au Sud.

Seul un cadre universel s’imposant comme la norme permettra de subordonner définitivement le commerce et l’économique à l’humain. A quand une Organisation mondiale du citoyen et de son environnement ?

source de l'article: Le Monde Diplomatique, edition Septembre 2007
www.monde-diplomatique.fr

Auteur de l'article: Christian Jacquiau, Economiste, auteur du livre Les coulisses du commerce équitable. Mensonges et vérités sur un petit business qui monte, Mille et une nuits, Paris, 2006.

Reponse de Max Havelaar

A la suite de la publication de l’article « Max Havelaar ou les ambiguïtés du commerce équitable », de Christian Jacquiau (Le Monde diplomatique, septembre 2007), qu’il conteste, M. Jean-Pierre Doussin, président de Max Havelaar France, nous communique le droit de réponse suivant :

Qui sommes-nous ? Nous ne sommes pas une entreprise mais une association (loi de 1901) sans but lucratif, fondée et toujours animée par des organisations nationales et régionales consacrant leur action à la solidarité internationale. C’est donc une organisation composée de bénévoles militants. Notre association est un acteur pionnier (et non leader), à l’origine du premier système international de labellisation dans le cadre du commerce équitable. Son budget est alimenté par une redevance payée par les entreprises mettant le logo de l’association sur leurs produits et, jusqu’à l’année dernière, par des subventions publiques. Le ministère français des affaires étrangères, cité dans votre article, n’a pas contribué au sauvetage financier d’une association en péril mais à financer des projets précis, assortis de procédures d’évaluation, permettant le développement du commerce équitable. C’est en particulier grâce à ce financement que notre association a pu faire face aux coûts importants de l’organisation d’une filière coton équitable qui assure maintenant un revenu décent et un soutien organisationnel à plus de trente-cinq mille producteurs (et non pas trois mille deux cent quatre-vingts).

Notre logo est-il un label ? Nous n’avons jamais prétendu que ce logo était représentatif d’un label au sens de la loi française applicable aux labels de qualité des produits agricoles et alimentaires. Il s’agit d’un label international garantissant une démarche de développement au bénéfice d’acteurs marginalisés et applicable à toutes sortes de produits. Conformément à la jurisprudence des tribunaux français, l’utilisation du mot « label » est autorisée si deux conditions sont respectées : un cahier des charges définissant des exigences particulières et un contrôle du respect de ces exigences par un organisme indépendant. Ces conditions sont bien respectées : le cahier des charges est élaboré par notre fédération internationale FLO avec la participation des producteurs bénéficiaires et le contrôle est opéré par FLO-Cert, qui respecte les dispositions posées par la norme internationale ISO 65 sur les organismes certificateurs et donnant un maximum de garanties aux consommateurs français sur l’application de nos engagements.

Quels sont nos choix ? La justification de la création du système que nous représentons a, depuis l’origine, été que les consommateurs puissent contribuer de manière simple et efficace au développement des producteurs et travailleurs des pays du Sud en achetant des produits issus du commerce équitable dans tous les endroits où ils s’approvisionnent ou consomment habituellement. Le label MH permet ainsi de faciliter cet acte d’achat responsable en donnant aux consommateurs l’assurance de l’efficacité de ce geste simple. Cette relation d’un type nouveau n’a pas pour seul objet de fournir un revenu supplémentaire à des producteurs ou travailleurs défavorisés. Elle s’adresse avant tout à des organisations (une partie du prix, appelée prime de développement, est d’ailleurs d’usage obligatoirement collectif) qui deviennent de vrais partenaires, acteurs de leur propre développement. L’implication de ces organisations des pays du Sud dépasse le simple contrat commercial puisque leurs représentants participent également aux décisions stratégiques et politiques de notre fédération internationale FLO.

Contrairement à ce qui est dit, le développement du commerce équitable sur des cultures d’exportations ne se fait pas au détriment des cultures vivrières. Ce développement rend souvent possible au contraire, par les moyens supplémentaires qu’il donne, un développement de ces cultures et une diversification des activités. Une véritable restructuration régionale et parfois nationale, permise par le commerce équitable, est même constatée dans de nombreux pays : des acteurs autrefois complètement ignorés ou rejetés sont maintenant des partenaires incontournables tant des organisations commerciales privées ou des banques que des instances politiques. Mais un tel changement, comme celui, plus large, des pratiques du commerce international, n’est possible que si les transactions se prévalant du commerce équitable atteignent un niveau suffisant pour que ces « nouveaux » acteurs soient reconnus et respectés. La crédibilité du commerce équitable se verra d’autant plus renforcée que le nombre de familles agricoles qui en bénéficient atteint des niveaux plus importants.

Nous sommes tout à fait favorables aux actions engagées par diverses petites entreprises commerciales ou structures associatives qui souhaitent un commerce équitable « tout au long de la chaîne ». De telles démarches contribuent grandement à la sensibilisation du public, mais le niveau des transactions ainsi induites est insuffisant pour atteindre les objectifs précités. Notre association a donc fait le choix de s’insérer dans les structures commerciales existantes mais sans pour autant perdre son âme et sa culture militante. L’exemple du coton cité dans votre article peut à nouveau être repris. L’organisation de la filière, pour l’Afrique, a en effet été rendue possible grâce à une collaboration avec un acteur que ses compétences et la connaissance du milieu rendaient incontournable : la société Dagris. Que le président de cette entreprise ait pris des positions réelles ou supposées en faveur des OGM n’a rien à voir avec notre action puisque le cahier des charges que nous avons contribué à élaborer dans le même temps interdit totalement l’emploi des semences OGM et organise dans le détail le contrôle du respect de cette interdiction.

Nous saluons les entreprises qui ne vendent que des produits équitables mais nous saluons aussi celles, petites ou grandes, qui, peu à peu, décident de s’impliquer, même partiellement mais de manière croissante, dans le système ainsi mis en place. Avons-nous fait les bons choix ? C’est aux consommateurs d’en décider et sans attendre une modification fondamentale de notre organisation économique, et en tout cas bien avant l’avènement bien problématique à court ou moyen terme de l’Organisation mondiale du citoyen et de son environnement souhaitée par l’auteur de l’article. La progression constante des ventes de produits labellisés et l’impact constaté par les études menées dans les pays concernés nous engagent à penser que nous sommes bien sur la bonne voie.

Source: Le Monde Diplomatique, edition d'octobre 2007. www.monde-diplomatique.fr

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